Les molécules préférées d’Alexander Shulgin, la demi-douzaine magique

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Si vous êtes ici, vous connaissez probablement Alexander Shulgin, qui est l’un des pionniers du mouvement psychédélique. Il a inventé, dans son petit laboratoire de 12 m², un nombre incalculable de molécules psychédéliques, qu’il cite dans ses deux livres, PiHKAL et TiHKAL, qui signifie dire les phénéthylamines que j’ai connues et aimées et les tryptamines que j’ai connues et aimées.

Dans ses deux livres, il parle de la demi-douzaine magique, qui correspond à ses six molécules préférées, toutes des phénéthylamines que l’on peut retrouver dans PiHKAL.

Du coup, dans cet article, on va parler des six molécules préférées d’Alexander Shulgin. J’ai eu l’occasion de tester personnellement la moitié de ces molécules, et je me fierai aux trip reports ainsi qu’aux notes dans le livre PiHKAL pour vous parler en profondeur de celles que je n’ai pas connues. On essaiera aussi de comprendre pourquoi ces molécules sont celles qu’il préférait.

Alexander Shulgin est né en 1925 et mort en 2014. Il a d’abord commencé ses travaux en psychiatrie et en pharmacologie à l’Université de Californie à San Francisco. Après avoir bossé pour une entreprise de produits chimiques (notamment des insecticides), il est récompensé pour la découverte d’un insecticide biodégradable. L’entreprise le laisse ensuite mener ses propres recherches.

À partir de ce moment-là, il commence à explorer la synthèse de psychédéliques, car il a été initié à la mescaline peu avant. Il continue finalement ses recherches en solitaire, car l’entreprise ne voulait plus le soutenir. Pour y remédier, il poursuit ses expériences au fond de son jardin.

Vers le milieu des années 1970, une étudiante lui parle de la MDMA, et il décide de l’explorer en profondeur. Après avoir mis au point un nouveau processus de synthèse, il publie, avec David Nichols, des observations issues de l’usage de la MDMA, ce qui le fait connaître comme le parrain de la MDMA.

Il continue ensuite, dans son labo, à créer des dizaines et des dizaines de molécules différentes, qu’il cite dans ses deux livres. Il aura exploré, avec sa femme Ann Shulgin, un nombre incalculable de molécules qu’il testait seul, avec elle ou avec ses amis proches. Aujourd’hui, il reste une figure de référence majeure dans la communauté psychédélique. Il défendait le droit de faire soi-même l’expérience d’états de conscience modifiés.

Des citations de PIHKAL, le livre de Shulgin, seront en italique à la fin de chaque partie.

Le 2C-B

Le 2C-B est probablement devenu le plus connu de la série des 2C. C’est une molécule qui s’est largement répandue, en partie grâce à sa durée relativement courte, souvent autour de 4 à 6 heures, mais aussi parce qu’elle est particulièrement adaptée aux débutants.

En plus de ses effets psychédéliques classiques, le 2C-B possède une composante empathogène, parfois même entactogène, et dégage une dimension sensuelle et corporelle que peu d’autres substances offrent avec autant d’équilibre. L’expérience est souvent agréable, douce, centrée sur le corps et les émotions, avec des visuels subtils mais présents.

Ce n’est pas un hasard si, dans les années 1980/1990, le 2C-B était vendu en pharmacie dans certains pays européens comme un aphrodisiaque sous le nom Nexus. Il ne nécessitait pas une grande préparation mentale, et sa courte durée, son intensité modérée, et ses effets rarement anxiogènes en font une molécule souvent décrite comme une porte d’entrée idéale dans l’univers des psychédéliques.

En somme, le 2C-B a gagné sa réputation grâce à son équilibre entre accessibilité, plaisir et profondeur, permettant une exploration intérieure sans se retrouver submergé.

(avec 24 mg) je suis totalement dans mon corps. Je ressens chaque muscle, chaque nerf avec une intensité totale. La nuit est extraordinaire, la lune est pleine. C’est incroyablement érotique, silencieux et exquis, presque insoutenable. Je ne peux même pas commencer à démêler les images qui s’imposent pendant la montée de l’orgasme. J’essaie de comprendre cette fusion physique et spirituelle avec la nature 

La Mescaline

La mescaline est l’un des psychédéliques les plus anciens connus de l’humanité. Elle est le principal composé actif de deux cactus sacrés : le Peyotl (Lophophora williamsii), un petit cactus rond qui pousse à l’état sauvage dans le sud-ouest des États-Unis et le nord du Mexique, et le San Pedro (Echinopsis pachanoi), un cactus colonnaire originaire des Andes d’Amérique du Sud. Ces deux plantes ont été utilisées depuis des millénaires dans des traditions spirituelles et chamaniques, respectivement chez les peuples autochtones d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud.

La mescaline produit un effet qui, bien qu’il puisse sembler similaire à celui du 2C-B, est souvent beaucoup plus long. Elle favorise une connexion profonde avec son moi intérieur. Je lui ai consacré un article complet, d’ailleurs. Utilisée depuis la nuit des temps, la mescaline me rappelle beaucoup le 2C-E que j’ai testé avant la mescaline.

(avec 300 mg) J’aurais aimé, et m’attendais à vivre une journée visuelle intense, mais j’ai eu l’impression de ne pas pouvoir échapper à l’auto-analyse. Au pic de l’expérience, j’étais assez trippé et plein d’énergie, ce qui rendait les déplacements faciles. J’étais très agité. Pourtant, j’ai passé la majeure partie de la journée dans une grande souffrance, essayant sans succès de franchir un seuil. J’ai beaucoup appris sur moi-même et mon fonctionnement intérieur. Tout semblait être là, mais en fin de compte, ne l’était pas. J’ai commencé à percevoir un point, une lumière blanche brillante, qui semblait être l’endroit où Dieu entrait, et c’était incroyablement merveilleux de la sentir proche. Je souhaitais de tout mon cœur qu’elle s’approche. Je comprenais que certains méditent des heures juste dans l’espoir d’entrer en contact avec cette lumière.

Le 2C-E

Le 2C-E est, pour moi, ma molécule préférée, bien qu’elle puisse être très sombre et provoquer des trips intenses, parfois effrayants et difficiles. On pourrait la voir comme une version plus obscure et exigeante de la mescaline.

Ce qui est le plus marquant avec le 2C-E, c’est la synesthésie incroyable avec la musique : tous les sens se mélangent et s’embrasent en présence d’un son. J’ai vécu mes visuels les plus fous avec cette molécule, où la musique devenait tangible — je pouvais la toucher, la voir, la goûter, la sentir comme si elle était un véritable objet autour de moi. Cette expérience sensorielle est unique et fait toute la puissance du 2C-E.

J’ai d’ailleurs aussi écrit tout un article dessus, car c’est vraiment la molécule qui me fascine le plus. Je l’adore, même si elle m’effraie, car elle m’emmène dans des profondeurs qu’on n’explore pas sans courage. Comme le disait Shulgin, ce n’est pas une molécule « amusante », mais une invitation à affronter ses peurs, avec une récompense immense à la clé. Le 2C-E est la molécule parfaite pour plonger dans ses démons intérieurs et en ressortir transformé.

(Avec 20 mg) La vue par la fenêtre était irréelle. Le jardin semblait peint sur la vitre, chaque pétale de fleur, touffe d’herbe et feuille d’arbre étant sculptés avec soin en fines touches de peinture à l’huile sur la surface du verre. Ce n’était pas dehors, c’était juste là, devant moi. La femme qui arrosait les plantes était complètement figée, immobilisée par Vermeer. Et quand je regardais à nouveau, elle était à un autre endroit, mais toujours figée. J’étais destiné à devenir le spectateur éternel du musée de la conscience.

Le DOM

Le DOM fait partie des premières molécules inventées par Alexander Shulgin. Elle appartient à la famille des DOx, des psychédéliques amphétaminiques. Cette molécule a été largement vendue en 1967 sous le nom de STP, qui signifie Sérénité, Tranquillité et Paix.

Le DOM se dose à des quantités très faibles qui peuvent tenir sur un timbre. C’est une molécule qui provoque une stimulation plus intense que la plupart des psychédéliques classiques, ce qui la rend très orientée vers l’extérieur et le social.

Sa particularité réside dans cette énergie accrue, qui favorise l’interaction et l’engagement avec l’environnement, elle peut avoir un côté empathogène si pris dans un contexte social.

(Avec 5 mg) Il y avait une amplification de la lumière, des couleurs et des odeurs. Tout était très agréable et beau, sauf que je ressentais un sentiment négatif écrasant. Par moments, cette négativité montait en intensité de manière considérable, et je pense qu’elle était clairement due à la colère. Parfois, la négativité disparaissait complètement, et je passais aux expériences les plus agréables, voire hilarantes. J’alternais environ à parts égales entre joie et malaise. Au fil de la soirée, je suis devenu replié sur moi-même et pensif. Il semblait évident que j’avais pris toutes les mauvaises décisions, choix du partenaire, lieu de vie, isolement, absence d’activité significative. Le plus grand choc fut que ma pratique de la méditation, qui est l’un de mes centres d’intérêt principaux, et dont je pensais qu’elle m’avait apporté beaucoup de paix et de compréhension, semblait être une solution illusoire à mon malheur et à mon isolement. L’expérience a continué sans relâche toute la nuit, avec beaucoup de tension et d’inconfort. Je n’ai pas réussi à dormir. J’ai beaucoup halluciné durant la nuit, mais je pouvais les arrêter à volonté. Bien que je ne me sois jamais senti menacé, j’ai eu l’impression de savoir ce que c’est que de regarder au bord de la folie.

Le 2C-T-2

Le 2C-T-2 est une molécule psychédélique de la famille des 2C-T-x, souvent décrite comme un mix entre effets visuels colorés et sensations corporelles assez marquées. D’après les récits d’expérience que j’ai lu, son trip est généralement plus posé et moins intense que celui du 2C-E, avec une dose d’introspection et une ouverture mentale sans trop d’agitation.

Cette molécule est reconnue pour son équilibre entre une conscience élargie et un certain ancrage physique, on se rend compte à quel point le corps est un temple, ce qui la rend intéressante pour ceux qui cherchent un voyage ni trop dur ni trop léger. Le 2C-T-2 n’est pas vraiment “fun” ou “léger”, mais plutôt une expérience qui peut demander une certaine préparation et attention.

(avec 12 mg) Je ne ressens pas le début de l’effet pendant une heure entière, mais quand ça arrive, c’est un poids assez lourd. Ça fait du bien de traverser ça. C’est normal de ressentir la douleur. On ne peut pas la supprimer. Et c’est important d’entrer en contact avec ses profondeurs de colère. Tout cela vient du manque de reconnaissance. Tout ce comportement macho, les combats, les guerres, sont des façons de réclamer de l’attention, et de se venger de ne pas en avoir reçue dans sa vie. Je prends conscience plus que jamais de l’importance de reconnaître et d’honorer profondément chaque être humain. Et j’ai pu dépasser et résoudre certains jugements envers des personnes en particulier.

Le 2C-T-7

Le 2C-T-7 est un psychédélique de la famille des 2C-T-x, frère direct du 2C-T-2 mais avec une énergie un peu différente. Là où le 2C-T-2 impose un vrai travail corporel, presque comme si le corps était un temple à honorer, le 2C-T-7, lui, fait bosser l’esprit. C’est un trip coloré, puissant, avec un effet plus fluide et entactogène, qui laisse moins de place à la dureté physique souvent ressentie avec le 2C-T-2. La montée est plus douce, moins nauséeuse , ce qui rend l’entrée dans le voyage psyché plus accessible, même si la profondeur reste bien là.

Contrairement à son grand frère qui pousse à ressentir chaque fibre de son corps, le 2C-T-7 agit comme un moteur mental, amplifiant la réflexion, la créativité, et les sensations émotionnelles tout en gardant une forte connexion à soi. Il reste intense, mais avec une certaine douceur qui invite à explorer son esprit sans que le corps ne devienne un obstacle. En résumé, si le 2C-T-2 te fait sentir que ton corps est un temple à respecter, le 2C-T-7 te rappelle que l’esprit est la vraie force motrice du trip.

(avec 20 mg) Je m’allonge avec la musique et je me concentre pour rester aussi immobile que possible. Je ressens que si je peux être totalement, complètement immobile, j’entendrai la voix intérieure de l’univers. En faisant cela, la musique devient incroyablement belle. Je comprends l’importance extraordinaire de simplement écouter, écouter tout, les gens comme la nature, avec une réceptivité complètement ouverte. Quelque chose de très spécial se passe à ce point d’immobilité, alors je continue à m’y entraîner. Quand je deviens totalement immobile, une énorme décharge d’énergie se libère. Et elle explose au point qu’il faut un effort énorme pour se calmer et devenir immobile. Un vrai plaisir.

Au final, on voit bien qu’Alexander Shulgin avait d’excellents goûts : toutes ses molécules préférées présentent des caractéristiques particulièrement intéressantes. Je vous propose également de jeter un œil à la molécule préférée de sa femme Ann Shulgin : le 2C-B-Fly.

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